10

 

 

 

Le lendemain, lorsque je suis rentrée à la maison me changer pour la soirée, le voyant de mon répondeur clignotait.

— Sookie, c’était un vrai casse-tête, ton message. J’ai eu un mal de chien à le décoder, disait Bill.

Sa voix était toujours aussi glaciale, mais elle m’a paru plus tendue que d’habitude. Il semblait contrarié, énervé, presque vexé.

— Si tu décides d’aller à cette soirée, ne prends pas de risques inutiles. Ça n’en vaut pas la peine. Demande à ton frère ou à Sam de t’accompagner...

Eh bien, j’avais trouvé encore mieux comme garde du corps. J’aurais donc dû avoir la conscience tranquille. Pourtant, allez savoir pourquoi, j’avais comme l’impression que la présence d’Eric à mes côtés n’aurait pas franchement rassuré mon vampire préféré...

— Stan Davis et Joseph Vélasquez te saluent. Ainsi que Barry, le groom.

J’ai souri. Assise en tailleur sur mon lit, dans mon peignoir rose, je me brossais les cheveux.

— Je n’ai pas oublié la nuit de vendredi, ajoutait Bill, de ce ton grave qui me donnait toujours des frissons. Je ne l’oublierai jamais.

— Pourquoi ? Qu’est-ce qui s’est passé vendredi ?

J’ai poussé un hurlement et, quand j’ai été bien sûre que mon cœur n’avait pas sauté hors de ma poitrine, j’ai bondi de mon lit, les poings serrés.

— Bon sang, Éric ! Tu es assez grand pour savoir qu’on n’entre pas chez les gens sans frapper ! ai-je crié.

— J’ai frappé, a-t-il protesté en prenant un air offusqué. Je t’ai même appelée. Tu n’as peut-être pas répondu, mais j’ai bel et bien cru entendre ta voix. Alors, je suis entré.

— Ce n’est pas parce que tu as, soi-disant, murmuré mon nom que ça te donnait le droit de débarquer directement dans ma chambre ! Et tu le sais très bien !

Il a aussitôt changé de sujet, ce qui prouvait que j’avais raison.

— Que vas-tu mettre pour cette soirée ? Comment une petite fille bien élevée s’habille-t-elle quand elle se rend à une orgie ?

— Aucune idée, ai-je soupiré.

Rien que de penser à ce qui m’attendait, ma colère était retombée d’un coup.

— Je suppose que je dois avoir le profil de la fille qui participe régulièrement à ce genre de choses, vu qu’on m’a invitée, mais je n’y connais rien et je ne sais pas par où commencer – quoique j’imagine assez bien la façon dont les choses sont censées finir.

— Moi, je suis déjà allé à des orgies, m’a annoncé Éric.

— Pourquoi est-ce que ça ne m’étonne pas ? Bon, que faut-il porter, alors ?

— La dernière fois, j’avais revêtu une simple peau de bête. Mais, cette fois, j’ai opté pour ça.

Il a ouvert son imperméable d’un geste théâtral. J’en suis restée clouée sur place, sidérée. D’habitude, Éric faisait plutôt dans le costard sur mesure. Là, il arborait un débardeur rose fluo et un caleçon en Lycra rose fuchsia et bleu turquoise, comme les flammes peintes sur le pick-up de Jason. Je me demandais où il avait pu dénicher un truc pareil dans sa taille.

— Waouh ! ai-je finalement lâché, à court d’inspiration. Ça, pour être une tenue de sortie, c’est une tenue de sortie !

Quand un grand type en pleine force de l’âge porte des collants en Lycra, ça ne laisse pas grand-chose à l’imagination. J’ai failli lui demander de tourner sur lui-même pour que je puisse le détailler sous toutes les coutures, mais j’ai résisté à la tentation.

— Je ne pensais pas être très crédible en drag queen, mais je me suis dit que cette tenue serait suffisamment ambiguë pour laisser le champ libre à toutes sortes d’interprétations.

Il m’a adressé un coup d’œil langoureux en battant des cils. Ma parole ! Mais ça l’amusait vraiment !

— Oh ! Certainement !

J’essayais de regarder ailleurs.

— Veux-tu que je fouille dans tes tiroirs pour essayer de te trouver quelque chose ? m’a-t-il proposé.

Je n’avais pas eu le temps de répondre qu’il ouvrait ma commode. Un slip brésilien se balançait déjà au bout de son index.

— Non, non ! Je vais me débrouiller, ai-je vivement protesté, en lui arrachant le slip des mains.

J’ai cherché un truc qui soit sexy sans être trop provocant, mais je n’ai rien trouvé d’autre qu’un ensemble short-tee-shirt basique. Cela dit, le short en jean en question datait de mes années de lycée et il me moulait comme « une chenille enlace un papillon » selon Éric, poète à ses heures.

J’ai enfilé un slip en dentelle et un débardeur blanc profondément échancré qui dévoilait largement les fioritures de mon soutien-gorge bleu à reflets métalliques sur le devant. C’était un de mes plus beaux, et Bill ne l’avait encore jamais vu. J’espérais qu’il ne lui arriverait rien. Mon bronzage tenait encore le coup, et j’avais renoncé à ma queue de cheval habituelle.

— Hé ! Mais on a les cheveux de la même couleur ! me suis-je exclamée en regardant Eric, puis mon reflet dans la glace.

— Exactement, ma belle amie ! m’a répondu Éric avec un sourire en coin. À supposer que tu sois une vraie blonde, évidemment...

— Tu aimerais bien le savoir, hein ?

— Je ne dis pas non.

— Eh bien, il ne te reste plus qu’à le deviner.

— Moi, je le suis. Un vrai blond, je veux dire.

— Vu la toison que tu as sur la poitrine, ce n’est un secret pour personne.

Il m’a soulevé le bras pour regarder mon aisselle.

— Les femmes ! Idiotes que vous êtes, à vous raser partout ! a-t-il pesté en laissant retomber mon bras sans ménagement.

J’ouvrais déjà la bouche pour protester quand j’ai réalisé où ça risquait de nous mener. J’ai préféré écourter la discussion.

— Il faut y aller.

— Tu ne te parfumes pas ?

Il était en train de renifler tous les flacons posés sur ma commode.

— Oh ! Mets celui-là ! s’est-il soudain écrié en me lançant la bouteille.

Je l’ai rattrapée d’une main sans même réfléchir. Il a haussé les sourcils.

— Eh bien ! Tu as dans les veines plus de sang de vampire que je ne le pensais, ma chère Sookie.

J’ai délibérément ignoré sa remarque et appliqué sans discuter une touche de liquide ambré entre mes seins et à l’arrière de mes genoux. Comme ça, je serais enveloppée d’Obsession de la tête aux pieds.

— Quel est le programme ? a demandé Éric en me regardant faire avec un ostensible intérêt.

— Voilà l’idée : on va aller à cette soirée débile et en faire le moins possible dans le registre sexuel, pendant que je récolterai un maximum d’informations en lisant dans les pensées des participants.

— Des informations sur quoi ?

— Sur le meurtre de Lafayette Reynold, le cuistot de Chez Merlotte.

— Et pourquoi devons-nous faire une chose pareille ?

— Parce que j’aimais bien Lafayette. Et pour blanchir Andy Bellefleur.

— Bill est au courant ? Que tu fais tout ça pour disculper un Bellefleur, j’entends ?

— Pourquoi me demandes-tu ça ?

— Tu sais bien que Bill déteste les Bellefleur, m’a-t-il répondu, comme si c’était placardé sur tous les murs de Louisiane.

— Non. Non, je n’en savais rien.

Je me suis assise sur la chaise près de mon lit pour chausser mes sandales.

— Pourquoi les déteste-t-il ? ai-je demandé d’un ton détaché.

— Tu n’auras qu’à l’interroger directement, Sookie. Et c’est la seule raison pour laquelle tu veux aller à cette soirée en ma compagnie ? Tu n’aurais pas finement invoqué ce prétexte pour provoquer un rapprochement plus... intime avec moi ?

— Je ne suis pas aussi « fine » que tu le dis, Éric.

— Je crois que tu te sous-estimes, Sookie, a-t-il répliqué avec un grand sourire.

Je me suis alors souvenue que, d’après Bill, Éric était censé percevoir ce que je ressentais. Que savait-il donc sur moi que j’ignorais ?

— Écoute, Éric... ai-je commencé en franchissant le seuil.

Puis je me suis interrompue. Comment allais-je bien pouvoir formuler ça ?

Il a attendu patiemment. Le temps s’était couvert dans la soirée, et les bois semblaient cerner étroitement la maison, comme s’ils s’étaient rapprochés avec la nuit. En fait, l’atmosphère m’aurait sans doute paru moins oppressante, si je n’avais pas été sur le point de me rendre à cette fichue soirée. J’allais découvrir des choses sur des gens que je connaissais, des choses que je n’avais aucune envie de savoir. Mais j’éprouvais une sorte de devoir moral envers Andy Bellefleur et, si bizarre que ça puisse paraître, j’avais une certaine admiration pour Portia. Pour sauver son frère, elle s’astreignait à fréquenter Bill, chose qui lui répugnait : ça forçait le respect. Le hic, c’était que je n’arrivais pas à comprendre comment Portia pouvait éprouver de la répulsion envers Bill. Pour moi, c’était tout bonnement inconcevable. Mais puisque Bill affirmait qu’il la terrorisait, je le croyais sur parole. La perspective de voir le vrai visage de gens que je connaissais depuis toujours me fichait bien une trouille bleue, à moi.

— Je compte sur toi pour qu’il ne m’arrive rien, OK ? ai-je finalement dit, faute de mieux. Je n’ai pas l’intention d’avoir des... relations intimes avec ces gens. Mais j’ai peur que ça puisse se produire quand même, que quelqu’un veuille aller trop loin. Même pour venger la mort de Lafayette, il est hors de question pour moi de coucher avec qui que ce soit.

C’était cela qui me faisait vraiment peur, en définitive, même si j’avais refusé de me l’avouer jusqu’à maintenant. Je craignais que les choses ne dérapent, qu’une soupape de sécurité ne saute et que je ne me retrouve dans le rôle de la victime. Il m’était arrivé quelque chose quand j’étais petite, quelque chose que je n’avais pu ni empêcher ni contrôler, quelque chose d’ignoble. J’aurais préféré mourir plutôt que de laisser quiconque abuser de moi une nouvelle fois. C’était pour cette raison que je m’étais si violemment battue contre Gabby, pour cette raison aussi que j’étais tellement reconnaissante à Godefroy de l’avoir tué.

— Tu as confiance en moi ? s’est étonné Éric.

— Oui.

— C’est... insensé, Sookie.

— Non, je ne pense pas.

Quant à savoir d’où me venait cette certitude, je n’en avais pas la moindre idée. Elle était bel et bien là, pourtant. J’ai enfilé le grand sweat-shirt molletonné que j’avais emporté. Il m’arrivait à mi-cuisses, et à la réflexion, je me demandais s’il était beaucoup plus décent que mon short : il me faisait une minirobe, et on avait l’impression que je ne portais rien dessous.

Sanglé dans son imperméable, Éric m’a ouvert la portière de sa Corvette rouge avec un effet de crinière très convaincant (il avait détaché ses longs cheveux blonds de Viking). Je lui ai indiqué le chemin pour aller au lac Mimosa, et pendant qu’on roulait sur l’étroite route à deux voies, j’en ai profité pour lui faire un petit topo : description du contexte et résumé des événements qui permettaient de comprendre plus ou moins comment on en était arrivés là. Éric conduisait avec le plaisir manifeste d’un homme qui adore la vitesse... et la témérité d’un vampire mort depuis des années.

— Je te rappelle que je suis mortelle, lui ai-je dit à la sortie d’un virage particulièrement serré, négocié à une allure qui m’avait fait regretter de ne pas avoir les ongles assez longs pour pouvoir les ronger.

— J’y pense souvent, m’a-t-il répondu, sans détacher les yeux de la route.

Comment auriez-vous interprété ça, vous ? Comme je n’avais aucune envie d’y réfléchir (j’avais déjà assez de trucs qui me turlupinaient comme ça) et que j’avais besoin de me détendre, étant donné que mon chauffeur confondait sa Corvette avec une Formule 1 et notre route de campagne avec le circuit de Daytona, j’ai préféré me concentrer sur des pensées relaxantes : les bains torrides que j’avais pris avec Bill, le joli petit chèque qu’Éric m’enverrait quand il aurait encaissé celui des vampires de Dallas, l’incroyable longévité de la relation de Jason avec Liz, qu’il fréquentait depuis plusieurs mois. J’ai commencé à me décontracter. Après tout, la nuit était douce, et je roulais en compagnie d’un super mec dans une super voiture...

— Tu te sens bien et tu es contente, a soudain affirmé Éric.

— C’est vrai.

— N’aie crainte : tu seras en sécurité.

— Merci. Je sais.

J’ai pointé l’index sur la petite pancarte marquée «Fowler », qui indiquait une intersection à peine visible derrière un buisson d’aubépine. La voiture s’est engagée dans une courte allée de gravier bordée d’arbres. Le chemin plongeait à pic, et Éric a dû slalomer entre les ornières sans toutefois parvenir à éviter les embardées de son bolide. Enfin, la maison, nichée dans une petite clairière, est apparue. Il y avait quatre véhicules garés devant, sur le terre-plein en terre battue. Les fenêtres étaient ouvertes pour laisser entrer l’air frais du soir, mais les rideaux étaient tirés. Un brouhaha indistinct me parvenait de l’intérieur. À l’idée que j’allais mettre les pieds dans la maison de Janet Fowler, j’ai alors été saisie d’une irrésistible envie de prendre mes jambes à mon cou.

— Je pourrais être bisexuel, non ? m’a demandé Éric.

Ça m’a un peu détendue. Il n’avait pas du tout l’air rebuté par ce qui nous attendait. J’ai même cru apercevoir une fugace étincelle d’amusement dans ses prunelles. On était plantés l’un en face de l’autre, devant la voiture.

— Pourquoi pas ?

J’ai haussé les épaules. Qu’est-ce que ça pouvait bien faire ? C’était du cinéma, après tout. J’ai surpris un mouvement du coin de l’œil. Quelqu’un avait légèrement écarté les rideaux.

J’ai alerté mon garde du corps en caleçon scintillant :

— On nous observe.

— Eh bien, je vais me conduire comme il se doit, alors.

Sur ces mots, il a posé ses lèvres sur les miennes. Il ne m’avait pas agrippée pour me plaquer contre lui et ne s’était pas non plus jeté sur moi. Je n’avais donc pas vu le coup venir et j’étais restée parfaitement calme. De toute façon, je me doutais bien que je serais obligée d’embrasser quelqu’un, à un moment ou à un autre. C’était le strict minimum, vu le contexte. J’ai donc essayé d’y mettre un peu de bonne volonté.

Au début de notre relation, Bill m’avait dit que j’embrassais extrêmement bien. Évidemment, si tant est que j’aie jamais eu un quelconque talent naturel pour la chose, j’avais également eu un excellent professeur pour le développer. Et j’entendais bien lui faire honneur.

À en juger par l’état d’Éric (de son caleçon, en tout cas), j’étais parvenue à mes fins.

— Prêt ? lui ai-je lancé en veillant à ne pas baisser les yeux au-dessous de sa taille.

— Pas vraiment, mais je suppose qu’il faut y aller, de toute façon. Au moins, j’aurai l’air d’être déjà dans l’ambiance.

Je n’aurais pas dû être d’humeur à plaisanter, étant donné que je venais tout de même d’embrasser Éric pour la deuxième fois et que j’y avais pris plus de plaisir qu’il ne l’aurait fallu, mais, malgré moi, j’ai senti un petit sourire se dessiner sur mes lèvres. On a monté les marches de la large terrasse en teck avec son inévitable lot de chaises pliantes et son tout aussi imparable barbecue. La porte-fenêtre coulissante a crissé quand Éric l’a ouverte. J’ai frappé sur la vitre.

— Qui est-ce ? a crié Janet.

— C’est Sookie, avec un ami.

— Oh, chic ! Entrez donc !

Tous les participants ont tourné la tête vers nous. Mais à la seconde où ils ont vu Éric, leurs sourires accueillants se sont brusquement évanouis, laissant place à des mines effarées.

Comme il venait se placer à côté de moi, son imperméable sur le bras, j’ai failli hurler de rire. Vous auriez vu la tête qu’ils faisaient ! Passé le premier moment de stupeur (imaginez le choc que ça leur avait fait quand ils avaient réalisé qu’ils avaient bel et bien un vampire devant eux ; ce dont tout le monde dans la pièce avait fini par se rendre compte, au bout d’une minute ou deux), ils l’ont détaillé de haut en bas, histoire de bien profiter du panorama. C’est ce qui s’appelait se rincer l’œil.

— Hé, Sookie ! Qui est donc cet apollon qui te sert de chevalier servant ? s’est exclamée Janet.

Janet Fowler, une divorcée multirécidiviste d’une trentaine d’années, était uniquement vêtue d’une courte nuisette en dentelle. Son épaisse chevelure, composée de mèches ton sur ton, cascadait élégamment (dans le genre coiffé-décoiffé que seuls savent réussir les coiffeurs aguerris) sur son déshabillé. Son maquillage n’aurait sans doute pas déparé sur une scène de music-hall, mais, dans une bicoque de bord de lac, l’effet produit était peut-être un petit peu excessif. Cela dit, en tant qu’hôtesse, j’imagine qu’elle pouvait se permettre tout ce qu’elle voulait à sa propre «réception ».

J’ai enlevé mon sweat-shirt et dû subir le même humiliant examen qu’Éric, avant de me plier docilement au rituel des présentations officielles.

— Voici Éric. J’espère que vous ne m’en voulez pas de l’avoir amené ?

— Oh, non ! Plus on est de fous, plus on rit ! m’a assuré Janet avec une évidente sincérité.

Son regard n’était toujours pas remonté jusqu’au visage de mon compagnon.

— Éric, que puis-je vous offrir à boire ? a-t-elle demandé avec empressement.

— Vous avez du sang ? s’est enquis Éric d’un ton sceptique.

— Bien sûr ! Enfin, je crois qu’il me reste un peu de O quelque part, a-t-elle répondu, incapable de détacher les yeux de son caleçon en Lycra. Il nous arrive de... faire semblant.

Elle a accompagné cette déclaration d’un haussement de sourcils entendu et s’est essayée au coup d’œil lubrique. Le résultat ne m’a pas paru franchement engageant.

— Plus besoin de faire semblant, maintenant, a-t-il rétorqué en lui rendant son regard (d’une façon nettement plus convaincante, je dois bien le reconnaître).

Il s’est avancé pour la rejoindre devant le réfrigérateur, en se débrouillant pour étreindre l’épaule de Ben au passage. Le visage de ce dernier s’est brusquement illuminé.

Eh bien ! Je me doutais que j’allais en apprendre de belles, mais quand même ! Plantée à côté de son fiancé, Nikkie semblait bouder. Elle était en soutien-gorge et en string, un ensemble d’un rouge vif agrémenté de dentelle noire affriolante très sexy. Vu la surface de peau dénudée et le contraste de la couleur éclatante avec sa pâleur naturelle, elle s’en tirait plutôt bien. Son vernis était parfaitement assorti à ses sous-vêtements, de même que son rouge à lèvres : elle avait sorti le grand jeu. Je m’apprêtais à l’interpeller quand je l’ai vue détourner brusquement les yeux. Pas besoin de lire dans ses pensées pour comprendre qu’elle était morte de honte.

Mike Spencer et Cléo Hardaway étaient vautrés dans un canapé fatigué calé contre le mur de gauche. Toute la maison (qui consistait en une seule grande pièce équipée d’un évier et d’un radiateur électrique fixés au mur de droite, près de l’entrée, et d’un cabinet de toilette ajouté dans un coin, au fond) n’était meublée que de vieux trucs de récupération. À Bon Temps, on ne jetait pas le mobilier usagé, on le recyclait. Cela dit, la plupart des cabanons du lac n’étaient probablement pas pourvus d’un tapis aussi épais, ni d’autant de coussins jetés pêle-mêle à même le sol, ni de rideaux aussi opaques à toutes les fenêtres. Sans parler de tous les objets qui traînaient par terre et qui n’avaient certainement pas été achetés chez un marchand de jouets ordinaire... Qu’est-ce que c’étaient que ces engins de torture ? Il y en avait même certains dont j’ignorais l’usage. J’aurais bien été incapable de dire de quoi il s’agissait.

Refoulant mon dégoût, j’ai arboré un large sourire et serré Cléo Hardaway dans mes bras avec la même chaleur que si je l’avais rencontrée dans la rue. C’est vrai qu’elle était un peu moins dévêtue quand elle tenait la cafétéria du lycée, mais elle avait tout de même un slip, contrairement à Mike Spencer, qui était nu comme un ver – un gros ver blanc et luisant. Beurk !

Bon. Je m’étais dit dès le début que ce ne serait pas beau à voir. Mais je suppose qu’il y a certaines choses auxquelles on ne peut tout simplement pas se préparer. Les énormes seins café au lait de Cléo étaient enduits d’une sorte d’huile qui les faisait briller, de même que le bas-ventre de Mike. Je préférais ne pas penser à ce que ça pouvait laisser supposer.

Mike a essayé de m’attraper la main, sans doute pour... faire pénétrer le produit. J’ai réussi à m’esquiver et me suis faufilée entre les coussins vers Ben et Nikkie.

— Je n’aurais jamais cru que tu viendrais, m’a aussitôt confié Nikkie.

Elle souriait, elle aussi, mais c’était un bien triste sourire. En fait, elle avait l’air malheureuse comme les pierres. Peut-être que le fait d’avoir Tom Hardaway à genoux devant elle, en train de lui lécher l’intérieur des cuisses, y était pour quelque chose. Peut-être aussi que le très net intérêt que Ben manifestait pour Éric n’était pas étranger à sa tristesse. Je ne pouvais pas la regarder en face. Ça me rendait malade.

— Tu fais ça souvent ? ai-je demandé à Nikkie, incapable de trouver autre chose à dire.

Les yeux rivés aux fesses d’Éric, qui discutait devant le réfrigérateur avec Janet, Ben a commencé à jouer avec les boutons de mon short (heureusement que ce n’était pas une fermeture Éclair !). Il avait encore bu : il avait le regard vitreux, la lippe pendante, l’équilibre instable... Des détails qui ne trompent pas.

— Il est drôlement balèze, ton copain, a-t-il marmonné, comme s’il salivait (et c’était peut-être le cas).

— Plus balèze que Lafayette, hein ? ai-je murmuré.

Ben a immédiatement tourné les yeux vers moi.

— Oh, oui, oui... Oui, beaucoup plus baraqué. C’est bien d’avoir un peu de diversité, a-t-il répondu, manifestement décidé à esquiver le sujet. Ça permet de varier les plaisirs...

— Oh ! De quoi voir toutes les couleurs de l’arc-en-ciel !

Il n’a pas réagi. Sans doute était-il déjà trop soûl pour saisir mon allusion au drapeau gay.

— En tout cas, difficile de trouver mieux à Bon Temps, ai-je conclu, en essayant de ne pas trop faire l’article quand même.

Mais ça n’a pas marché. Ben ne pensait plus qu’aux fesses d’Éric.

Quand on parle du loup... Éric s’est glissé derrière moi et m’a enlacée, me plaquant contre lui pour me soustraire aux mains baladeuses de Ben. Je me suis laissée aller contre lui. Heureusement qu’il était là ! C’est à cet instant que j’ai compris : sa présence en un tel lieu me rassurait parce que je m’attendais à l’y trouver. Je m’attendais à le voir se comporter de cette façon, alors que voir des gens que vous avez toujours connus agir comme ça... eh bien, c’était tout bonnement répugnant. Je n’étais pas très sûre de parvenir à dissimuler mon dégoût plus longtemps. Par sécurité, je me suis tournée vers Éric, j’ai noué mes mains derrière sa nuque et j’ai levé la tête vers lui. Le visage caché et le corps bien gardé, je me suis senti l’esprit plus libre, assez libre, du moins, pour commencer mes investigations. Juste au moment où je m’ouvrais aux pensées extérieures, Éric a forcé le barrage de mes lèvres avec sa langue. Ça a suffi à lever mes dernières barrières mentales. Il y avait de puissants « émetteurs » dans la pièce, à tel point que je me suis subitement sentie transformée en pipeline canalisant tous les désirs débridés des gens qui m’entouraient.

Je pouvais détecter la direction que prenaient, à présent, les pensées de Ben. Il se souvenait de Lafayette, de son corps mince, de sa peau brune, de ses doigts agiles, de ses yeux de velours lourdement fardés. Les suggestions qu’il lui avait susurrées de sa voix sucrée résonnaient encore à son oreille. Puis ces heureux souvenirs ont été brusquement chassés par d’autres réminiscences beaucoup moins réjouissantes : les protestations de Lafayette, ses cris stridents...

— Sookie, m’a chuchoté Éric à l’oreille, si bas que personne ne pouvait l’entendre, j’en étais pratiquement certaine. Sookie, détends-toi. Je te tiens.

Je me suis obligée à lui caresser langoureusement le cou. C’est comme ça que je me suis rendu compte qu’il y avait quelqu’un d’autre dans son dos, quelqu’un qui se collait à lui et le caressait par-derrière. La main de Janet est alors passée le long de la hanche d’Éric pour venir me toucher avec la même audace. Grâce à ce contact physique, je pouvais lire dans ses pensées à livre ouvert. L’esprit de Janet était on ne peut plus clair : je n’avais plus qu’à tourner tranquillement les pages une à une. Mais je n’ai rien trouvé d’intéressant. Elle se concentrait tout particulièrement sur l’anatomie d’Éric et s’inquiétait de la fascination qu’elle éprouvait pour les seins de Cléo. Inutile d’insister : aucun indice pour moi là-dedans.

J’ai donc orienté mes « capteurs » en direction de Mike Spencer. Ce que j’ai détecté dans l’esprit du coroner ressemblait à ce que j’avais imaginé : une vraie décharge ! Si les pensées avaient eu une odeur, les siennes auraient empuanti l’atmosphère à des kilomètres à la ronde. J’ai notamment découvert que, pendant qu’il pétrissait les seins de Cléo, il songeait à une autre chair, plus foncée, plus froide, inerte. Son sexe se dressait à ce souvenir. Dans sa mémoire, j’ai déniché une image de Janet endormie sur le vieux canapé, pendant que Lafayette menaçait les autres de raconter tout ce qu’ils avaient fait et de donner des noms, s’ils n’arrêtaient pas de le torturer. Puis j’ai vu les poings de Mike s’abattre, les genoux de Tom Hardaway s’écraser sur l’étroite poitrine noire...

Il fallait que je fiche le camp d’ici. Même si je n’avais pas trouvé tout ce que j’étais venue chercher, j’étais incapable de tenir une seconde de plus. Je me demandais comment Portia aurait pu supporter un truc pareil, d’autant que, n’ayant pas mon don pour l’aider, elle aurait été obligée de jouer les prolongations pour obtenir la moindre bribe d’information.

Janet s’obstinait à me malaxer les fesses. C’était le plus désolant simulacre de sexe que j’aie jamais vu : du sexe sans âme et sans esprit, coupé de tout sentiment, sans amour, sans la plus infime trace d’affection, sans même la moindre sympathie.

D’après mon amie Arlène, quatre fois divorcée, les hommes pouvaient sans problème avoir des relations sexuelles avec des partenaires pour qui ils n’éprouvaient rien. Apparemment, certaines femmes aussi.

— Il faut que je sorte de là, ai-je soufflé contre la bouche d’Éric.

Je savais qu’il m’entendrait.

— Suis-moi.

J’ai eu l’impression que sa voix résonnait dans ma tête.

Il m’a brusquement soulevée de terre et m’a renversée sur son épaule. Mes cheveux balayaient l’arrière de ses genoux.

— On va faire un petit tour dehors, a-t-il lancé à Janet.

Au bruit de succion que j’ai entendu, j’ai compris qu’il venait de l’embrasser.

— Est-ce que je peux venir aussi ? lui a-t-elle demandé d’une voix rauque et haletante à la Marlene Dietrich.

— Laisse-nous deux minutes, mon chou, lui a-t-il susurré d’un ton aussi prometteur qu’une pub pour un nouveau parfum de crème glacée. Sookie est encore un peu farouche.

— Chauffe-la bien ! lui a conseillé Mike Spencer. On a tous hâte de voir notre Sookie s’enflammer.

— Elle sera brûlante, a promis Éric.

— Foutrement brûlante, a renchéri Tom Hardaway, toujours coincé entre les jambes de Nikkie.

Enfin – Éric soit loué ! –, nous nous sommes retrouvés dehors. C’est alors qu’il m’a couchée sur le capot de la Corvette. Il s’est allongé sur moi, en veillant à faire reposer tout son poids sur ses bras tendus de chaque côté de mes épaules.

Il me fixait, le visage aussi fermé que les écoutilles d’un navire en pleine tempête. Ses canines étaient sorties, et son regard brillait dans la nuit. Je distinguais parfaitement le blanc de ses yeux dans l’obscurité, mais il faisait trop sombre pour que je puisse discerner le bleu de ses prunelles.

— C’était...

J’ai dû m’interrompre pour reprendre mon souffle. Je suffoquais.

— Tu peux me traiter de sainte nitouche hypocrite si ça te chante, ai-je repris. Et je ne t’en blâmerai pas : après tout, c’était mon idée. Mais tu veux que je te dise ? Ça me donne envie de vomir. Les hommes aiment réellement ça ? Et les femmes aussi ? On s’éclate vraiment quand on couche avec quelqu’un qu’on n’aime même pas un peu ?

— Est-ce que tu m’aimes un petit peu, Sookie ? m’a demandé Éric en se faisant plus lourd contre moi.

Il a commencé à bouger imperceptiblement.

Oh oh !

— Éric, tu te rappelles la raison pour laquelle on est venus ?

— On nous regarde, m’a-t-il prévenue.

— Tu t’en souviens ? ai-je insisté.

— Oui.

— Bon. Eh bien, on peut s’en aller.

— Tu as des preuves ? Tu as trouvé ce que tu cherchais ?

— Je n’ai pas plus de preuves que je n’en avais avant d’arriver, ai-je avoué en me forçant à l’enlacer pour la galerie. Pas de preuves qu’on puisse brandir devant un tribunal, en tout cas. Mais je sais qui a tué Lafayette : Mike, Tom et peut-être Cléo.

— Intéressant...

C’est fou ce qu’il avait l’air intéressé ! Il m’a mordillé l’oreille. Il se trouve que j’adore ça. Ma respiration s’est accélérée d’un coup. Peut-être que je n’étais pas aussi allergique au sexe sans sentiment que je l’imaginais, finalement...

— Non. J’ai horreur de ça, me suis-je écriée, apportant subitement une réponse à mes propres interrogations. Je déteste ça, de A à Z. Ça me dégoûte.

J’ai repoussé violemment Éric, ce qui n’a eu strictement aucun effet.

— Éric, écoute-moi bien. Même si le résultat n’est pas brillant, j’ai fait tout ce que je pouvais pour Lafayette et pour Andy Bellefleur. Il ne lui restera plus qu’à enquêter à partir des maigres infos que j’ai collectées pour lui. C’est un flic, après tout. A lui de trouver des preuves. Je ne suis pas altruiste à ce point-là.

— Sookie, a murmuré Éric, qui n’avait manifestement pas écouté un traître mot de ce que je lui avais dit. Donne-toi à moi.

Eh bien, ça avait le mérite d’être clair, au moins !

— Non, Eric, ai-je rétorqué de mon ton le plus tranchant et le plus catégorique. Non.

— Je te protégerai contre Bill.

— Tu parles ! C’est toi qui aurais besoin de protection !

Une réflexion stupide et parfaitement puérile, je le reconnais.

— Tu crois que Bill est plus puissant que moi ?

— Je refuse de poursuivre cette conversation.

Puis, n’étant pas à une contradiction près, je l’ai poursuivie :

— Éric, j’apprécie l’aide que tu es prêt à m’offrir et je te remercie d’avoir accepté de m’accompagner dans un endroit pareil...

Il m’a interrompue au beau milieu de ma tirade.

— Crois-moi, Sookie, ce dérisoire lupanar de campagne n’est rien, mais alors vraiment rien, à côté de certains lieux que j’ai fréquentés.

Je n’avais aucun doute là-dessus.

— Peut-être, mais pour moi, c’est un véritable enfer. Je me rends bien compte, maintenant, que cette... petite sauterie devait fatalement... euh... attiser ton désir. Mais tu sais parfaitement que je ne suis pas venue ici pour chercher des sensations fortes. J’ai déjà un petit ami, et ce petit ami, c’est Bill. Alors...

L’association des mots « Bill » et « petit ami » dans la même phrase avait quelque chose d’incongru, voire de grotesque. « Petit ami » était pourtant bien le rôle que jouait Bill dans ma vie. Enfin, c’était la place que je lui attribuais, en tout cas.

— Ravi de te l’entendre dire, m’a alors lancé une voix glaciale familière. Cette scène aurait pu prêter à confusion, sinon.

Oh, super !

Éric s’est redressé, et je suis descendue en quatrième vitesse du capot, avant de me précipiter dans la direction d’où provenait la voix.

— Sookie, a repris Bill dans le noir. Je commence à croire que je ne peux pas te laisser seule cinq minutes.

Il avait l’air plutôt furieux. Étant donné les circonstances, je pouvais difficilement lui en vouloir.

— C’est vrai que j’ai fait une sacrée bourde en venant ici, ai-je reconnu en me blottissant contre lui.

Et je le pensais du fond du cœur.

— Tu sens son odeur, a-t-il maugréé dans mes cheveux.

J’ai senti un flot de tristesse et de honte me submerger et j’ai compris que les choses allaient mal tourner.

Mais ça ne s’est pas vraiment passé comme je l’imaginais.

Andy Bellefleur a surgi des futaies, un revolver à la main. Il semblait sale et dépenaillé, et son arme m’a paru énorme. Visiblement, il avait bu.

— Sookie, écarte-toi ! m’a-t-il ordonné.

— Non, ai-je répliqué sans hésiter.

J’ai enlacé Bill et me suis collée contre lui. Je ne sais pas qui je cherchais à protéger, mais une chose était sûre : si Andy voulait nous séparer, moi, je voulais plus que jamais nous rapprocher. Mieux : nous souder.

Un brouhaha étouffé s’est soudain élevé sur la terrasse du cabanon. Quelqu’un nous avait manifestement épiés de la fenêtre, car, bien qu’il n’y ait pas eu le moindre éclat de voix, la scène qui se jouait dans la clairière avait attiré l’attention des fêtards – j’avoue que quand Éric m’avait dit qu’on nous regardait, je m’étais demandé s’il ne me racontait pas des histoires pour m’inciter à pousser la plaisanterie un peu plus loin.

Visiblement, pendant qu’Éric et moi simulions nos ébats dehors (moi, je simulais, en tout cas), les autres avaient poursuivi les leurs à l’intérieur : Tom Hardaway était nu, ainsi que Janet. Ben semblait complètement soûl, à présent.

— Tu sens son odeur, a répété Bill entre ses dents.

Cette fois, la moutarde m’est montée au nez. Oubliant complètement Andy et son arme, j’ai fait un bond en arrière.

Je vous jure que, quand je me mets en colère, ça vaut le détour. Heureusement, ça n’arrive pas souvent (plus souvent qu’avant, quand même). Et ça m’a fait un bien fou. C’était... jouissif.

— Moi, je ne serais même pas fichue de dire ce que tu sens ! Parce que, pour ce que j’en sais, tu t’es frotté contre une bonne demi-douzaine d’autres femmes ! Pas très équitable, hein ?

Bill en est resté bouche bée. J’ai entendu le rire d’Éric derrière moi. Le public sur la terrasse semblait captivé. Quant à Andy, il a sans doute estimé qu’il n’était quand même pas là pour faire de la figuration, car il a soudain hurlé :

— Regroupez-vous !

Éric a haussé les épaules.

— As-tu déjà eu affaire à des vampires, Bellefleur ?

— Non, mais je vais te tuer quand même. Il y a des balles d’argent là-dedans, lui a répondu Andy du tac au tac, en agitant son arme.

— Ce n’est pas...

Vif comme l’éclair, Bill s’est rapproché de moi et a plaqué la main sur ma bouche. Les balles d’argent n’étaient fatales qu’aux loups-garous, même si les vampires réagissaient violemment à la présence d’argent dans leur organisme.

Éric a haussé un sourcil incrédule, puis, suivant l’ordre d’Andy, a rejoint les fêtards sur la terrasse. Bill m’a pris par la main et m’a entraînée vers le cabanon. Qu’avait-il en tête ? J’aurais bien voulu pouvoir lire dans ses pensées, pour une fois.

— Qui l’a fait ? Lequel d’entre vous ? À moins que vous ne vous y soyez mis à plusieurs, hein ? a beuglé Andy.

Personne n’a répondu. Je me tenais à côté de Nikkie, qui tremblait dans sa lingerie sexy. Elle était terrifiée, ce qui n’avait rien d’étonnant.

J’ai commencé à me concentrer sur Andy. Les ivrognes ne font jamais de bons émetteurs (je suis bien placée pour le savoir, j’en côtoie tous les jours au bar). Ils enchaînent les trucs débiles dans un monologue intérieur complètement décousu, et les plans qu’ils échafaudent, quand ils en sont encore capables, ne sont ni réalistes ni très fiables. Leur mémoire leur joue des tours, aussi. Pour l’heure, les idées ne se bousculaient pas dans l’esprit d’Andy. Il détestait tout et tout le monde, lui compris, et il était bien décidé à faire éclater la vérité.

— Viens ici, Sookie ! a-t-il braillé.

Bill lui a opposé un « non » ferme et définitif.

— Si elle n’est pas là dans trente secondes, je tire... sur elle, a menacé Andy en pointant son revolver sur moi.

— Si tu fais ça, tu ne vivras pas assez longtemps pour la voir mourir, a rétorqué Bill avec un flegme assez impressionnant.

Je savais qu’il ne mentait pas. Andy non plus, apparemment.

— Je m’en fous, a crié Andy. Je ne serai pas une grosse perte pour l’humanité, et elle non plus.

Il n’aurait pas dû dire ça. J’avais commencé à me calmer un peu, mais je m’étais embrasée trop vite pour que ma fureur soit déjà complètement retombée. Les dernières paroles d’Andy n’ont fait que l’attiser.

Prenant Bill au dépourvu, j’ai échappé à son emprise et dévalé les marches de la terrasse, puis je me suis avancée vers Andy Bellefleur au pas de charge. Je n’étais pas aveuglée par la colère au point d’en oublier son arme, mais il fallait vraiment que je me retienne pour ne pas lui flanquer un bon coup de genou dans le bas-ventre. Ça ne l’empêcherait pas de tirer, mais il aurait quand même le temps de souffrir. Bon, d’accord, c’était une réaction aussi stupide que de boire pour se donner du courage.

— Maintenant, Sookie, tu vas lire dans les pensées de ces gens et me dire qui a fait ça, m’a ordonné Andy en m’agrippant derrière la nuque, comme on attrape un chiot par la peau du cou.

Il m’a fait brusquement pivoter pour me tourner face à la terrasse.

— Qu’est-ce que tu crois que je suis venue faire ici, espèce de crétin ? ai-je riposté. Tu penses vraiment que je n’ai rien de mieux à faire que de passer mes soirées libres avec des obsédés sexuels ?

Andy m’a secouée comme un prunier. J’ai pas mal de force et, théoriquement, j’avais de bonnes chances de pouvoir lui échapper et de le désarmer dans le même mouvement, mais cela me paraissait encore trop hasardeux pour passer sans hésiter à la pratique. J’ai préféré réfléchir deux secondes. Bill faisait des mimiques à mon intention, mais je n’étais pas bien sûre de saisir ce qu’il voulait me dire.

C’est à ce moment-là qu’un chien s’est mis à gémir à la lisière du bois. La tête bloquée par la main de fer d’Andy, j’ai juste pu tourner les yeux dans sa direction. Il ne manquait plus que ça !

— C’est mon colley, ai-je annoncé à Andy. Buffy, tu te rappelles ?

J’avais bien besoin d’aide et j’aurais nettement préféré la voir s’incarner sous une forme humaine, mais puisque Sam débarquait en colley, je n’allais pas pinailler. Le problème, c’était qu’il allait être obligé de conserver cette apparence, sous peine de dévoiler sa véritable identité.

— Qu’est-ce que ton clébard vient faire ici ?

— Je n’en sais rien. Ne lui tire pas dessus, OK ?

— Jamais je ne tirerais sur un chien, t’es malade ! s’est exclamé Andy.

Malgré la situation pour le moins fâcheuse dans laquelle je me trouvais, je n’ai pas pu m’empêcher de rétorquer :

— Mais sur moi, ça ne te gênerait pas !

Le colley s’est dirigé calmement vers nous. Je me suis demandé ce que Sam mijotait (si tant est qu’il ait conservé un peu de ses facultés de réflexion, une fois changé en chien). J’ai posé les yeux sur le revolver, et Sam a suivi mon regard. Était-ce vraiment de la compréhension que je décelais dans ses prunelles ? Je n’arrivais pas à évaluer la part d’humanité qu’il avait réussi à préserver.

C’est alors que le chien s’est mis à grogner. Il montrait les crocs et regardait le revolver d’un œil mauvais.

— Arrière, le chien ! a crié Andy.

Si seulement je parvenais à immobiliser Andy une seconde, les vampires pourraient le neutraliser. J’ai commencé à répéter tous les gestes mentalement. Il faudrait que j’attrape son bras à deux mains et que je l’oblige à lever le revolver vers le ciel pour qu’il ne blesse personne. Mais, tel qu’Andy était placé là, me tenant à distance à bout de bras, la manœuvre s’annonçait délicate. J’avais intérêt à réussir. Il n’y aurait pas de deuxième essai.

— Non, mon amour, m’a lancé Bill.

J’ai automatiquement tourné les yeux vers lui. Je devais avoir l’air éberluée.

D’un léger signe de tête, Bill m’a désigné quelque chose derrière Andy.

Oh oh ! Regardez qui se fait secouer les puces, comme un vilain petit chien-chien, a dit une voix ricanante dans mon dos. Mais c’est ma messagère !

Alors là, c’était le bouquet !

La ménade a décrit un large cercle pour contourner Andy et venir se poster à sa droite, à quelques pas devant lui, prenant bien soin de ne pas se placer entre le tireur et ses cibles. Cette fois, elle n’avait pas de trace de sang sur elle – pas plus qu’elle n’avait de vêtements, d’ailleurs. Elle ne s’était même pas donné la peine de s’habiller pour venir. J’imagine qu’elle et Sam batifolaient dans les bois quand ils avaient entendu Andy nous faire son grand numéro du justicier éméché. Sa longue chevelure emmêlée lui tombait jusqu’aux fesses. Elle ne semblait pas avoir froid, contrairement aux humains nus, que la fraîcheur de l’air faisait grelotter.

— Salut, messagère ! m’a-t-elle lancé. J’ai oublié de me présenter lors de notre dernière rencontre, comme mon ami canin me l’a fait justement remarquer. Je m’appelle Callisto.

— Bonsoir, mademoiselle Callisto, ai-je répondu, ne sachant comment m’adresser à elle autrement.

Je l’aurais bien saluée d’un hochement de tête, si Andy ne m’avait pas quasiment étranglée. Ça commençait à devenir pénible.

— Qui est ce bel homme brave et vigoureux qui te tient en respect ? a demandé Callisto en se rapprochant lentement.

J’ignorais quelle tête faisait Andy, mais sur la terrasse, ils avaient tous l’air fascinés et terrifiés à la fois – hormis Éric et Bill, évidemment. Les deux vampires reculaient progressivement, s’écartant peu à peu des humains. Mauvais signe.

— Andy Bellefleur, ai-je croassé, à moitié asphyxiée.

La ménade s’est encore rapprochée, et j’ai senti les poils se dresser sur mes bras.

— Tu n’as jamais rien vu de comparable à moi, n’est-ce pas ? a-t-elle demandé à Andy.

— Non, a répondu ce dernier d’une voix ahurie.

— Me trouves-tu belle ?

— Oui, a-t-il répondu sans hésitation.

— Penses-tu que je mérite quelque hommage ?

— Oui, a-t-il répété avec la même conviction.

— J’aime l’ivresse et tu es complètement ivre, l’a félicité Callisto. J’aime les plaisirs de la chair et ces humains se vautrent dans la luxure. Je suis à ma place ici.

— Oh ! Parfait, a approuvé Andy d’un ton un peu plus hésitant. Mais l’un d’entre eux est un assassin, et je veux le démasquer.

— S’il n’y en avait qu’un... ai-je marmonné.

Malheureusement, j’avais rappelé Andy à mon bon souvenir et, pour le prouver, il a cru nécessaire de me secouer de nouveau comme un prunier.

La ménade était maintenant assez près de moi pour me toucher. Elle m’a caressé doucement la joue. J’ai senti l’odeur d’humus et de vin qui imprégnait ses doigts.

— Tu n’es pas ivre, a-t-elle constaté.

— Non.

— Et tu n’as pas goûté aux plaisirs de la chair, ce soir.

— Oh ! La nuit n’est pas finie !

Elle a ri. C’était un drôle de rire, haut perché, un peu rocailleux, qui semblait ne jamais devoir s’arrêter.

Perturbé par sa présence toujours plus proche, Andy avait l’air de ne plus trop savoir où il en était et, peu à peu, son emprise sur mon cou se desserrait. Je ne savais pas ce que les spectateurs de la terrasse voyaient, mais Andy, lui, avait compris qu’il avait devant lui une créature de la nuit. Il était comme hypnotisé. Et, tout à coup, il m’a lâchée. Mais je ne pense pas que ça ait été un acte volontaire. C’était plutôt comme s’il m’avait... oubliée.

— Viens donc par là, la nouvelle, qu’on voie un peu à quoi tu ressembles, a soudain lancé Mike Spencer.

Je m’étais écroulée sur place, aux pieds de Buffy, qui me léchait affectueusement la joue. Prostrée sur le sol, j’ai vu le bras de la ménade s’enrouler autour de la taille d’Andy. Andy a changé son arme de main pour lui rendre la politesse.

— Maintenant, dis-moi, a-t-elle demandé à Andy, que veux-tu savoir ?

Sa voix paraissait calme, posée. Elle a agité d’un geste vague son long bâton entouré de feuilles de vigne (un thyrse, d’après ce que j’avais appris. J’avais cherché le mot « ménade » dans l’encyclopédie, et l’article décrivait cet « attribut de Bacchus »).

— L’un d’entre eux a tué un homme. Je veux qu’il paie, a répondu Andy avec l’agressivité des ivrognes.

— Bien sûr, mon chou, a dit la ménade d’une voix enjôleuse. Désires-tu que je trouve le coupable pour toi ?

— Oui, je vous en prie, a dit Andy d’un ton presque suppliant.

— D’accord.

Elle a examiné l’assistance et fait signe à Ben d’approcher. Nikkie a essayé de le retenir par le bras, mais il s’est rageusement dégagé, a dévalé les marches et s’est avancé en titubant vers la ménade, un large sourire idiot aux lèvres.

— Z’êtes une fille ? a-t-il bredouillé.

Callisto s’est esclaffée.

Oh, pas vraiment. Tu as beaucoup bu, on dirait. Elle l’a effleuré de l’extrémité de son thyrse.

— Oh, oui ! a reconnu Ben.

Son sourire s’était évanoui. Il a levé les yeux vers Callisto. Lorsque leurs regards se sont croisés, il tressailli et s’est soudain mis à trembler. Les prunelles de la ménade luisaient comme des braises. J’ai jeté un coup d’œil vers Bill. Il regardait obstinément le sol. Quant à Éric, il avait tourné la tête en direction de sa voiture. Manifestement ignorée de tous, j’ai commencé à ramper vers Bill.

Le chien marchait à côté de moi. Il me poussait du museau comme s’il voulait me faire avancer plus vite. Quand je suis enfin arrivée près de Bill, je me suis agrippée à ses jambes, et j’ai senti sa main me caresser les cheveux. J’étais terrorisée à l’idée qu’en me levant, je risquais d’attirer l’attention de la ménade sur moi.

Callisto avait enlacé Ben et chuchotait à son oreille. Il a opiné du bonnet et lui a murmuré quelque chose à son tour. C’est alors qu’elle l’a embrassé. Il s’est figé. Quand elle l’a quitté et s’est dirigée vers le cabanon, il est resté pétrifié, telle une statue, le regard tourné vers la forêt.

Callisto s’est arrêtée à la hauteur d’Éric, qui se tenait plus près de la terrasse que nous. Elle l’a examiné de haut en bas et a souri, de cet horrible sourire propre à vous faire dresser les cheveux sur la tête. Éric gardait les yeux rivés au capot de sa Corvette pour ne pas croiser son regard.

— Charmant, a-t-elle commenté. Tout à fait charmant. Mais ce morceau de choix n’est pas pour moi. Je hais la viande froide.

Quand elle a rejoint les autres sur la terrasse, elle a pris une profonde inspiration, inhalant les odeurs d’alcool et de sexe. Elle flairait l’air comme si elle suivait une piste. Puis, soudain, elle s’est tournée vers Mike Spencer. Il frissonnait et n’avait pas très fière allure, avec son corps bedonnant de quinquagénaire. Mais Callisto a semblé le trouver à son goût.

— Oh ! s’est-elle exclamée joyeusement, comme si elle venait de recevoir un cadeau. Quel orgueil ! Quelle morgue ! Es-tu un roi ? Un grand chef de guerre, peut-être ?

— Euh... n... non, a bégayé Mike, visiblement pris de court. Je gère une entreprise de pompes funèbres.

Il n’avait pas l’air très sûr de lui, pour une fois.

— Tu n’as jamais rien vu de comparable à moi, n’est-ce pas ? a répété Callisto.

— Non.

Tous les autres ont secoué la tête en même temps que Mike.

— Ne te souviens-tu pas de ma première visite ?

— Non, madame.

— Tu m’as pourtant déjà fait une offrande.

— Je vous ai fait une offrande, moi ?

— Oh, oui ! Quand tu as tué le petit homme noir si fin, si gracieux. C’était un parfait tribut pour moi. Je te remercie de l’avoir laissé devant un débit de boissons : les bars sont mes lieux de prédilection. N’as-tu pas réussi à me trouver dans les bois ?

— Mais, madame, on n’a pas fait d’offrande, a protesté Tom Hardaway.

Il avait la chair de poule, et son sexe recroquevillé pendait lamentablement entre ses jambes.

— Je vous ai vus.

Soudain, le silence a envahi la clairière. Toujours bruissants et agités des infimes mouvements de la vie animale, les bois environnants étaient devenus immobiles. Je me suis prudemment levée pour me blottir contre Bill.

— J’aime le stupre, la violence et l’odeur enivrante de l’alcool et du vin, a repris Callisto d’une voix rêveuse. Je peux parcourir des kilomètres pour assis ter au sacrifice final.

La terreur qui les submergeait tous a commencé à m’envahir à mon tour, inondant mon esprit comme un fleuve en crue gonflé par la brusque montée de tous ses affluents. C’était un véritable déferlement. Je me suis enfoui le visage dans les mains, tout en levant les plus puissants boucliers de protection mentale que j’aie jamais invoqués. Pourtant, je pouvais à peine contenir le torrent d’épouvante. Les muscles bandés, le dos courbé pour résister à l’assaut, je me suis mordu la langue pour ne pas gémir. J’ai senti Bill se tourner vers moi, Éric se rapprocher dans mon dos, puis la soudaine étreinte de leurs deux corps pressés contre le mien. Et je vous jure qu’il n’y avait vraiment rien d’érotique dans cette situation. Leur propre crainte pour ma sécurité ne faisait qu’accroître la mienne, parce que, entre vous et moi, qu’est-ce qui pouvait bien effrayer des vampires ? Le chien s’était collé à nos jambes comme s’il nous offrait sa protection.

— Tu l’as molesté pendant que tu forniquais avec lui, a affirmé la ménade en pointant l’index sur Tom. Tu l’as frappé parce que tu es fier et orgueilleux : sa servilité te dégoûtait. Elle t’excitait tellement, pourtant...

Elle lui a caressé le visage d’une main décharnée. Tom n’a pas eu l’air d’apprécier. Le blanc de ses yeux brillait dans la nuit. Il devait être mort de trouille.

— Quant à toi, a-t-elle poursuivi en tapotant Mike dans le dos de son autre main, comme pour le féliciter, tu l’as battu sous l’emprise de la folie.

— C’est à ce moment-là qu’il vous a menacés de tout dévoiler...

— Elle a abandonné Tom et Mike pour caresser les seins de Cléo. Celle-ci avait mis un gilet pour sortir, mais il était resté ouvert.

— Comme elle semblait avoir échappé à l’attention de la ménade, Nikkie en a profité pour commencer à battre en retraite. Elle était la seule à ne pas avoir été frappée par la terreur collective. Je sentais la fragile lueur d’espoir qui vacillait en elle, son désir de vivre. Elle a réussi à se glisser sous la table en fer forgé de la terrasse, s’est roulée en boule et a fermé les yeux en serrant les paupières de toutes ses forces. Je l’ai entendue promettre à Dieu tout un tas de choses, dont une conduite exemplaire à l’avenir, s’il la tirait de là. Ses prières sont venues s’ajouter au flot d’épouvante qui me submergeait. J’ai brusquement été prise de tressaillements irrépressibles. Les autres projetaient leur effroi avec une telle violence que, sous la pression, toutes mes barrières mentales se lézardaient. Je me noyais littéralement dans l’horreur. Il ne restait plus rien de moi que la peur. Éric et Bill se sont empoignés par les bras pour me soutenir et m’empêcher de trembler.

Janet, elle, était totalement ignorée par la ménade. Sans doute n’y avait-il rien en elle à même de séduire la créature. Janet n’était ni fière, ni orgueilleuse. Elle était plutôt pathétique et elle n’avait pas bu une goutte d’alcool de la soirée. Elle s’adonnait au sexe pour d’autres raisons que le besoin de se perdre dans la luxure, des raisons qui n’avaient rien à voir avec le désir de s’oublier dans un moment de merveilleuse extase. Tentant, comme à son habitude, d’être le point de mire, Janet, le sourire aguicheur et l’œil humide, a tendu la main pour prendre celle de la ménade. À son contact, elle s’est mise à convulser, tandis que d’affreux gargouillements s’échappaient de sa gorge. L’écume aux lèvres, les yeux révulsés, elle s’est effondrée sur le sol, le corps agité de tremblements tels que ses talons martelaient le plancher en bois.

Puis le silence est retombé. Mais, au sein du groupe réuni sur la terrasse, quelque chose a commencé à monter. Quelque chose de terriblement beau, quelque chose d’horriblement parfait. L’épouvante des uns et des autres refluait, et la tension qui m’habitait me quittait. Mes tressaillements se sont apaisés, et l’étau qui me broyait le crâne s’est desserré. Mais, à mesure que la terreur se dissipait, une nouvelle force naissait, une force d’une indicible beauté : le mal absolu.

C’était de la folie à l’état pur, de la folie dévastatrice et souveraine. De la ménade s’échappaient une fureur aveugle, un orgueil ravageur, le désir de détruire, la soif de saccage. J’ai été submergée en même temps que les autres. Je gesticulais, je me débattais, sous les flots de démence que vomissait Callisto dans leurs esprits torturés. Seule la main d’Éric, qui me bâillonnait, m’a empêchée de hurler avec eux. Mais je me défendais. Je ruais dans les brancards comme un cheval affolé. J’ai même mordu la main d’Éric. J’ai senti le goût de son sang dans ma bouche et je l’ai entendu étouffer un grognement de douleur.

Et l’horreur ne cessait de croître, de s’amplifier. Puis il y a eu les cris et ces bruits atroces, bruits de succion, bruits humides et moites. Le chien, collé contre nos jambes, s’est mis à geindre plaintivement.

Et, brusquement, tout s’est arrêté. C’était fini.

Je me suis sentie toute molle, comme une marionnette dont on aurait coupé les fils. Bill m’a couchée sur le capot de la Corvette. J’ai ouvert les yeux. La ménade m’a regardée. Elle avait toujours son ignoble sourire et était couverte de sang. On eût dit qu’elle s’était douchée sous une cascade pourpre : ses cheveux trempés dégoulinaient, chaque centimètre carré de sa peau nue était enduit de sang, et elle empestait cette caractéristique odeur de cuivre.

— Tu l’as échappé belle, m’a-t-elle glissé d’une voix flûtée.

Elle se déplaçait posément, presque lentement, comme quelqu’un qui sort de table après un repas trop copieux.

— Tu es passée tout près, a-t-elle insisté. Plus près peut-être que tu ne le seras jamais. Ou peut-être pas. Je n’avais jamais vu personne être contaminé ainsi par la folie des autres. L’idée est plaisante.

— Plaisante pour vous, ai-je hoqueté, pantelante.

Le chien m’a mordu la jambe pour me rappeler à l’ordre. La ménade a tourné son regard vers lui.

— Mon cher Sam, a-t-elle murmuré, je dois te quitter.

Le chien a levé les yeux vers elle. Ses prunelles pétillaient d’intelligence.

— Nous avons eu de bons moments à courir les bois, a-t-elle déclaré en lui caressant la tête. À chasser côte à côte le petit gibier...

Le chien a agité la queue.

— ... et à faire d’autres choses...

Le chien s’est mis à haleter en tirant la langue.

— Mais il est temps pour moi de partir. Le monde est plein de bois et de gens qu’il faut rappeler aux convenances. Je tiens à recevoir les hommages qu’est en droit d’exiger une fille de Bacchus, dieu de l’ivresse et de la débauche auxquelles ils s’adonnent. Il ne faut pas qu’ils oublient à qui ils doivent leurs extases. J’exige mon tribut, a-t-elle affirmé d’une voix égale. Un tribut de fureur et de mort.

Elle a commencé à s’éloigner en direction du bois.

— Après tout, a-t-elle lancé par-dessus son épaule, ce ne peut pas être tous les jours la saison de la chasse...

Disparition a Dallas
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